Boulette Journal

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Le froid et l’humidité ont saisi la maison. Peu importe le nombre de couches de vêtements que je porte. J’ai la chair de poule à longueur de journée et toute la nuit. Mon ventre prépare un oeuf à mettre à la poubelle. Ça me tord. Les téléfilms de Noël pullulent depuis une semaine. On en a encore pour deux mois de concours de pâtisserie, premiers amours retrouvés, accidents de glisse et autres complexes d’abandon… Il est beaucoup trop tôt pour commencer à se sentir seule. Et pourtant.

La tante dont je parlais dans mon précédent écrit m’a annoncé hier que sa petite-fille (donc la fille de ma cousine) attendait son premier enfant. Et tout ce qui me traverse est politiquement inacceptable.

... parce que cela tombe le jour de l’anniversaire de la mort de sa mère et que je continue de questionner le lien immuable entre la vie et la mort.

... parce que cette annonce est faite en cachette et sans l’autorisation des parents. Ce n’est pas juste de lui retirer la liberté de me le partager (ou pas). Que faut-il penser de ces gens qui ne savent pas tenir leur langue sous le sceau d’une promesse ? Briser un secret qui n’est pas le sien et m’obliger à mentir par omission, à feindre la surprise et une joie que je ne ressens pas. Ou la décevoir alors que ni elle ni moi n’avons rien demandé que le silence.

... parce que je ne suis pas heureuse pour elle. Je n’arrive pas à l’être. Entre envie et dégoût. C’est une bonne nouvelle que si un enfant est désiré et ce bonheur, quels que soient sa forme ou son nom, n’a aucune obligation à rayonner.

... parce que cette nouvelle me renvoie à toutes mes propres insécurités et incapacités que je ne cesse de remettre en question. À quoi bon y penser quand on n’a personne avec qui partager ses rêves et projeter ses idées de vie ? À quoi bon penser à ce qui n’est jamais arrivé, à ce qui me rend si triste ? Ce ventre vide, tout ce sang perdu. Si cela avait été fait pour moi, est-ce que je n’aurais pas déjà eu quelques indices sur lesquels baser l’espoir à la place du désespoir d’être, à jamais, qu’une observatrice ?

... parce que je me demande si, un jour, cela sera mon tour.

Un de mes directeurs m’a demandé de noter tous les matchs auxquels il veut assister dans son agenda. Je ne sais pas si je suis plus révoltée qu’il gagne une blinde en occupant son temps à lire L’Équipe ou parce que mon métier, avec ce niveau de stimulation, n’a plus de sens. J’ai besoin de me sentir utile. À la première occasion, je file à l’anglaise.

Toutes ces sources de fatigue me pèsent à différents degrés. Mes accès dépressifs ne sont pas très élaborés. J’arrive néanmoins à mettre des mots dessus et ça les rend tout de suite plus légitimes — voire plus légers. Je ne fais que traverser.

Mon lot de consolation est dans ce concours gagné pour participer à une demie-journée d’étude avec un artiste dans un magasin spécialisé dans les Beaux Arts le mois prochain. Je suis assez défaitiste lorsqu’il s’agit de tirage au sort. Je ne sais jamais si j’ai plus peur de perdre ou de gagner aux jeux de hasard. Je me suis trop habituée à ne pas être choisie. Il parait qu’il n’y a que ceux qui n’essaient pas qui ne gagnent jamais, alors… Je n’essaie plus.

Je gagne.