Boulette Journal

10)

Première note scolaire depuis 2007 : 14/20. Il y a des millénaires, mon père disait : "Ça donne 7/10. C’est la note de la médiocrité." J’ai longtemps cru que son échelle de valeur était vraie et juste. Cela m’a pris des décennies à déconstruire. L’académie française nous renvoie des barèmes où on a vite fait de se sentir débile et démuni. Pour quelqu’un qui s’en vient vers une formation à distance dans un domaine où je n’ai reçu aucune éducation (si ce n’est un peu de curiosité personnelle de temps à autre), qui n’avait jamais touché au logiciel en question et pas vraiment assimilé la consigne, je m’en sors bien. Le commentaire du prof est tout aussi clair, fait de mots emberlificotés et soutenus. Tout pour être incompréhensible. J’ai besoin d’outils simples et explicites pour essayer de faire une meilleure production la prochaine fois.

Un après-mdi avec ma mère. Elle a rapporté des toiles et du thé d’Espagne. Je me suis sentie ingrate et piégée lorsqu’elle a dit : "Aujourd’hui, je me fais invitée." Force est de constater que j’aurais préféré choisir comment dépenser mes deniers. Son rapport malsain avec l’argent a déteint sur moi de la pire des manières. Je deviens radine et abhorre dépenser si cela ne me fait pas plaisir (de faire plaisir) ou si c’est purement compulsif. Alors quand on me force la main… Nous avons finalement rééquilibré les choses : elle a payé le restaurant ; j’ai pris le goûter et le cinéma. Le lendemain, j’ai fait un cauchemar où elle s’était pendue à la porte de l’armoire de mon ancienne chambre… Cette vision me hante encore.

Un après-midi au musée. La météo a rendu l’usage des transports en commun difficile. Jusqu’à la dernière minute, j’avais l’impression qu’une part de moi y allait à reculons ou pour les mauvaises raisons. Je ne comprends pas pourquoi je continue de faire ça. Assise sur le banc, je me demandais quel genre de poire restait à attendre plus d’une heure dans le froid que sa copine arrive ? Le créneau que nous avions réservé pour l’exposition était largement dépassé quand nous nous sommes retrouvées. J’avais si faim et soif que je n’ai pas du tout rendu justice à ma visite. Ma tête bourdonnait. Cet après-midi s’est achevé sur une proposition improbable : pour m’éviter de passer les réveillons seule, elle m’a proposé de venir partager ces moments avec les membres de sa famille. L’intention était certainement généreuse mais tellement pleine de pitié. D’ailleurs, j’ai eu pitié de moi comme de ces animaux abandonnés avant les vacances d’été.

Un café au lounge. C’est la troisième fois que le barista m’offre ma boisson. Je suis tellement troublée par l’attention et l’élan de gentillesse de cette personne. Je me sens gênée et redevable aussi.

Quatre ans. C’est le temps qu’il me reste avant d’atteindre l’échéance que je m’étais fixée pour avoir un enfant, fonder ma famille. Créer quelque chose de fédérateur, de fondamental. L’annonce de la grossesse de ma nièce a fait remonter l’absence de certains paramètres dans ma vie et toutes les excuses que je me suis trouvée pour me cacher. L’idée de tout laisser tomber, de ne plus y croire, m’effleure de plus en plus souvent. Il m’arrive d’être dégoûtée de mes rêves. J’aurais été seule, solitaire et vierge toute ma vie.