Boulette Journal

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Je ne sais pas comment VV en est arrivée à parler religion. Elle appelle habituellement pour se plaindre et imiter les autres en prenant une voix suraiguë. Je n’écoute plus ce qu’elle dit au bout de quelques minutes. Elle me pompe beaucoup trop d’énergie. Je décroche et elle monologue sans reprendre sa respiration pendant des heures. Elle raccroche quand elle se sent mieux. VV a la particularité d’appeler 5 minutes avant la fin de ma journée.

Ce soir-là, j’avais envie de tout débrancher dès que possible pour prendre la route. Elle m’expliquait que la religion était partie intégrante de sa scolarité et que cette part quotidienne lui manquait. Elle a fait référence au livre qu’elle lisait en ce moment qui lui donnait envie de se replonger dedans et, même, de poser le Vendredi saint pour aller à l’église.

J’ai pris la route et commandé le livre. VV a pris un congé. Avant d’aller le chercher, je suis allée à l’église. Juste un court instant symbolique pour ne pas éveiller les soupçons de mes grands-parents. Je n’avais pas d’argent sur moi pour allumer un cierge. C’est rare. Au fond de moi, je sentais par anticipation la satisfaction de ce que je vais enfin pouvoir apprendre. Puisque personne ne semble disposé à transmettre une information, à nourrir ma curiosité sans mépriser ma méconnaissance sur le sujet, je vais faire ce que j’ai finalement toujours fait dans tous les domaines de ma vie : m’éduquer seule. Ou presque.

Le maître-mot de ces derniers jours semble être : rupture.

Pour les uns et les unes dont le dossier de départ volontaire a été accepté, c’est une rupture vers de nouveaux projets professionnels. À mon niveau, la pilule est juste désagréable à digérer. Voir les autres partir, rester sur le navire. Contrairement à d’autres collègues, j’ai l’avantage d’avoir pris en paramètre le fait que mon dossier pouvait être refusé. Je ne suis pas déçue. J’attendais qu’une réponse claire soit communiquée pour pouvoir me dire : dans les deux cas, je vais de l’avant ! Je m’en serais voulue de ne pas avoir tenté ma chance. Je le vis beaucoup mieux que celles qui ont pris leur chèque de départ pour acquis. L’année écoulée a laissé place à un désengagement féroce. Cela ne fait que s’accroître au fil des jours.

Mon corps me fait mal. Mon dos, mes hanches et mon bas ventre sont gonflés. Je suis inconfortable quand je suis assise. Ma peau et mes vêtements me gênent comme si ils me coupaient le sang. Je n’ai pourtant pas pris de poids. Les exercices de Swiss ball me font un bien fou.

J’ai peiné à quitter le lit en cette journée d’orage. Je sentais, je savais... Je suis ici en écho au message du Nouvel An. J’ai besoin d’écrire dans mon coin, pour retrouver un semblant de paix, que je déteste ce que je représente en leur présence. Je déteste l’idée qu’ils ont de moi. Je suis désolée de l’idée qu’ils ont de moi. J’entends parler de cette journée depuis que je suis arrivée. Attablée au petit-déjeuner, je baignais dans l’angoisse de cette sortie où on m’a fait croire pour la forme que je suis celle qui décide parce qu’ils veulent "me faire plaisir"... Tant d’hypocrisie, de mauvaise foi, de chantage et de mensonge.

J’ai abandonné mon libre-arbitre dans ma voiture mercredi soir pour m’en remettre à leurs trains de vie : je suis ce que vous voulez que je sois ; mon temps est le vôtre ; je fais tout ce que vous voulez que je fasse ; j’irai là où vous souhaitez aller. Je ne pense pas pouvoir être moins moi-même et davantage soumise à leur météo que l’état dans lequel je me trouve à cet instant. Esclave.

Et puis quelque chose en moi s’est soulevé et a rompu. Le seuil de tolérance ou quelque chose de ce genre. Puisque je ne suis plus moi-même et ne suis pas acceptée quand je le suis, peut-être qu’aucune autre issue était possible. J’ai rassemblé mes affaires. Je suis prête à partir à tout moment. Qu’on me pardonne : j’ai hâte de rentrer chez moi.

Je cesse d’être la famille de ceux qui ne le sont pas pour moi.