Boulette Journal

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Octobre. Ce mois où j’ai toujours tout eu et tout perdu. Alors j’ai un peu peur, vois-tu, de tes plans cette année. En général, tu ne fais pas dans la dentelle et laisses un grand vide derrière toi. D’un autre côté, si j’ai aussi peur de toi, c’est que j’ai encore assez de bonheur en poche et d’espoir pour croire. Et tu ne vas pas tout gâcher. Tu me fais penser, à ta façon, que je regarde encore trop tout ce qui me manque. Faire — et faire bien — avec ce que j’ai présentement. Prendre les risques pour attiser le reste plus tard. Ou pas. L’important est de faire, d’avancer. Mais plus jamais je te laisserai faucher ce que j’ai de plus beau.

Appel hebdomadaire à mes grands-parents. Je pensais anticiper une visite le mois prochain. Ma grand-mère a aboyé : "La place est déjà prise !". Eh bien la place est déjà prise. Il y a tellement d’autres façons de dire les choses. Cela m’apprendra à privilégier le devoir sur l’envie. Si c’est pour me réveiller la tête à l’envers dans un canapé-lit et m’entendre dire que mon prénom est trop africain, mon frère trop musulman, que je mange comme un cheval en prenant de l’avoine au petit-déjeuner, que j’attire les mouches du port et autres "maladresses"... La place est déjà prise. Évidemment et heureusement. Mille mercis pour cette claque qui remet les choses à leur endroit. Merci de me rappeler, avant de me déplacer, que ma place est ailleurs et que vous n’avez pas besoin de savoir où ni d’en faire partie.

Mes premiers congés depuis avril sont posés et je n’ai pas prévu d’être maltraitée sur cette période par qui que ce soit. Tout doux. Je me réserve des moments tranquilles, pleins de joie et de promesses. Je vais visiter ma région comme une touriste.

J’étais partie sur une fleur blanche mais une branche de lys me tendait le bras. Un lys, encore. Deux superbes boutons ont éclos hier. J’ai eu un pincement de ne pas avoir été là pour assister à ce spectacle. Il en reste trois à naître. Je les surveille comme une poule amoureuse. Je vais les peindre. Leurs coeurs suintent et laissent des effluves dans le salon… Quelles beautés !

Lundi d’ennui. Mon soin d’hier soir n’a rien donné d’extraordinaire et s’est soldé au pub. Je manquais de concentration. Nous avons été interrompues par une de ces nouvelles recrues qui jouait avec son badge autour du cou. Incapable de lire un écriteau. Ma receveuse n’arrêtait pas de parler.

Les gens me demandent "combien je prends" comme si je me prostituais. Je ne m’attendais pas à une telle demande en mettant cette proposition sur la table. Contre toute attente, le planning est plein jusqu’à la fin du mois. Ma démarche n’a rien d’intéressée. Peu comprennent que l’on puisse simplement donner de son temps sans contrepartie. Avec ce que j’ai présentement. J’ai choisi d’offrir mes soins pour soulager ce climat social épouvantable. Je m’aide aussi en redonnant un peu de sens et de légitimité à ma présence. Si me prostituer est tout ce qu’il me reste à faire.