Boulette Journal

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J’ai posé une demie-journée supplémentaire pour faire le trajet. J’aime conduire. J’aime toutes les pensées qui défilent sous mes pneus. Cette façon que j’ai de laisser mes habitudes derrière moi, de prier à voix haute. J’aime partir sans rien dire et, parfois, le dire quand c’est fait. Ma vie est à moi.

Je m’en retourne dans cette salle où j’étais si petite et si impossible à distinguer parmi les autres. J’ai envie de renouveler l’expérience, de créer ma deuxième chance dans une autre voix qui chante bien des choses en trois langues. J’ai besoin de ressentir la trace de tout ce que j’ai découvert et laissé là-bas. J’ai réservé sans savoir comment. C’était déjà fait, voilà tout. Un coup à me redemander ce que je fous là. iykyk. Je sais pour qui j’étais là. Je pourrai toujours me cacher derrière une nécessité académique à revenir aussi bêtement sur mes pas…

Les cours appréhendés cette semaine m’impressionnent. J’essaie de trouver mon rythme de travail. La philosophie m’aurait sans doute beaucoup plu si j’avais pu faire de longues études. À mon âge, je m’apprête à composer ma première dissertation. Je me sens timide.

Un brunch mère-fille devant la gare pour marquer le début du week-end. J’ai perdu la notion du temps écoulé depuis la dernière fois que nous nous sommes retrouvées seules. Nous n’avons pas ce genre de relation. Nous n’avons pas de complicité. Ses histoires de femme trompée qui s’est trompée m’ont fait de la peine. Nous méritons d’être heureux. Comment a-t-elle pu foncer tête baissée dans ce malheur programmé ? Elle a délibérément ignoré toutes les alertes pour choisir le matériel sur le reste. Tout le reste. Enfants inclus.

Le temps était magnifique. Nous étions à la fenêtre du jardin d’hiver. Les passants portaient du vert ou des kilts. Le métro vibrait sous nos pieds. Au Salon, j’ai aperçu, de loin, d’anciens collègues. Le passé peut rester où il est. Les portraits animaliers étaient les plus réussis. La foule était dense et insupportable. La salle où je n’ai pas eu de place était tout à côté, cachée au milieu des bambous. Vrai de vrai. Ce journal a été créé le même jour. Le parc était saturé de gens. La tranquillité de mon patelin et de mes forêts m’a manqué.

Je me suis entendue dire "Fleurs de Bach" un matin sans savoir ce que c’était. J’ai immédiatement compris ce qu’on me demandait de faire : apprendre à utiliser leurs propriétés. Pour mon usage personnel et à travers mes soins aussi. Elles veulent me donner "un coup de main". Je vais essayer et observer notre association. Ma mère est prête à me donner sa table de massage toute neuve. Elle l’avait acheté au moment de sa formation esthétique. À l’époque, ce coup de tête m’avait coûté mes études. Celles dans lesquelles je me lance enfin aujourd’hui. 18 ans plus tard, la boucle est bouclée.

Mes rêves étaient habités de visages familiers. Dans l’un, un acteur me parlait de ce que les hommes prononçaient en marchant derrière moi. Une sorte de mantra superstitieux qui chuchote encore dans mon esprit. Aucun me parlait. Ils me suivaient comme un guide touristique. Dans un autre, un prématuré pleurait très fort. Sa tête malformée pendait en arrière. Ses yeux globuleux avaient quelque chose de terrifiant. Ou de Sublime si j’ai bien compris le cours sur Burke. J’ai précautionnement pris ce petit être et l’ai étendu le long de mon bras droit. Je l’ai bercé contre moi jusqu’à ce qu’il retrouve son calme. C’était mon premier petit frère. Celui au coeur fragile, celui que je n’ai jamais rencontré. Il aurait eu 30 ans le jour des 68 ans de notre mère.