Boulette Journal

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Les émotions se bousculent tant depuis plusieurs semaines que je ne sais pas par quel bout commencer cet écrit. Je regarde l’écran, la ligne s’écrire et puis, là, à l’instant, je me dis qu’il n’y a pas de faux début. Aller…

Une des filles de mon équipe est enceinte. Ses mots sont tombés comme une pierre sur du sable. Un bruit sourd et étouffé qui n’a rien emporté. Ni euphorie ni engouement. Il n’y a plus d’espoir à détruire, je crois. C’est comme une suite logique. Je compte les femmes autour de moi qui ne le sont pas encore et qui le seront avant moi. Éternelle observatrice.

C’est intéressant de voir comme être enceinte devient leur identité. Je les vois s’effacer, ne plus s’appartenir et soumettre leur entourage sur le même fuseau horaire. Je les vois devenir intolérante et méchante dès que les lumières et les attentions se détournent d’elles pour se poser ailleurs. Elles ne se définissent plus que par leur nouveau rôle, que personne d’autre ne peut comprendre. Pas même celles qui l’ont été avant elles, avec leurs conseils plus ou moins désirés reflétant leurs propres expériences, démodées. Des conseils qu’elles donneront à leur tour dans quelques temps. Elles jouissent d’être déesses pendant 9 mois, avec un droit de vie ou de mort sur tout ce qui vit en dedans et en dehors d’elles.

Le moindre sujet de conversation revient (par les détours les plus absurdes) à cet hémisphère qui pousse. Elles sont enceintes et le reste du monde, si vivant et déjà sur Terre, à côté d’elles, n’existe plus. La femme n’existe plus. Est-elle perdue ou juste endormie ? Reviendra-t-elle ? Quand ? Est-ce ça, l’instinct maternel ? La louve qui prend le dessus, qui protège et tue.

Il faut être gentille, admirative de ce club privé et accepter de parler d’un futur qui n’est pas le nôtre, auquel on ne prendra pas part. Que je ne veux même pas voir, en réalité.

Je le lui avais prédit cet avenir. J’en connais les moindres détails. Elle le sait et je les garde pour moi. Et elle est surprise de constater que je ne me suis pas trompée. Avec quelle justesse tout se passe exactement comme cela est censé être.

A cette annonce, je me suis étonnée de mon silence, ce calme intérieur. Il n’y avait ni joie, ni tristesse, ni colère, ni envie. Je ne ressens plus rien contre elles ni contre moi. Je me demande si, en fin de compte, je souhaite réellement être mère. La gestation est une vraie curiosité personnelle. J’aime profondément les enfants. Leur candeur, leur présence, leur fantaisie créative. Leurs forces. Je ne suis pas sûre de vouloir être mère si je ne peux plus être moi, si cela ne peut être une extension de ce que je suis déjà. J’ai été une grande partie de ma vie sous l’emprise d’un entourage toxique et je ne suis pas prête à me sacrifier pour qui que ce soit. Je ne suis pas sûre de vouloir entraîner quelqu’un d’autre dans la brutalité de la société du monde ; dans ses phobies, ses angoisses pour satisfaire mon bonheur et/ou celui de quelqu’un d’autre.

Est-ce que l’on peut ne pas avoir d’enfant.s par Amour pour eux ?