Boulette Journal

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Dans le lit, je regardais les nuages foncer. Les étoiles se sont mises à glisser vers l’ouest au fil des minutes. Il y en a une, énorme, qui me crie dessus. Elle me plaît beaucoup. Cinq branches d’une lumière vive et immaculée. L’application ouverte sur la couette, je réécoutais cette nouvelle chanson dont le thème et les paroles m’ont percuté la première fois que je les ai entendus. Parce qu’ils sont vrais et que j’ignore tout bonnement comment il a su. Comment il a osé transposer ces choses à voix haute et me mettre devant un fait aussi accompli. Sa poésie me touche. Sa justesse m’énerve encore. Je l’aime.

C’était cette âme en peine qui est allée dessiner pour la première fois dans cette petite église que j’ai découvert il y a deux ans. À l’époque, je travaillais en bord de campagne et je m’échappais au village pendant mes pauses déjeuner. Je restais dans ma voiture quand il pleuvait et je déjeunais sur un banc devant l’église quand il faisait beau. Un jour, j’y suis entrée. J’y suis revenue jusqu’au dernier jour. J’ai prié jusqu’au dernier jour. Je me remettais au calme, au réconfort et à la compagnie de plus grand que moi. J’aime y retourner de temps en temps. C’est drôle qu’une personne si peu portée sur une quelconque religion puisse autant prier.

L’appel de mes grands-parents m’a démoralisé. J’ai toujours salement envie de crever quand je raccroche. Ils appellent pour se donner bonne conscience mais n’ont rien à me dire. Ils aiment me remettre la tête dans le seau, me rappeler les évidences les plus désagréables comme si ils avaient besoin de s’assurer que je me sente mal pour se sentir mieux. Ils se lamentent de tout, imperméables aux joies et aux qualités de la vie. Mes entreprises sont vouées à l’échec. Mes centres d’intérêts sont pour les "faibles d’esprit"... Ils demandent des nouvelles de tout le monde mais ne s’intéressent aucunement à qui je suis, ce qui m’anime ou ce qu’il se passe dans ma vie. Je suis mieux, beaucoup mieux, loin d’eux.

Une personne âgée est venue s’abriter du froid à la gare. Elle s’est excusée de parler si fort au téléphone et nous avons engagé la conversation. Elle se rendait à un enterrement. Elle était en retard et était perdue. J’ai offert de l’accompagner en voiture. Elle a refusé. J’ai offert de l’accompagner en train. Elle a accepté. De là, ma journée a pris un tournant inattendu. J’ai appris plus tard dans le train que son prénom signifiait "Papillon". Un papillon de 83 ans, c’est si joli. Je l’ai laissé devant la porte du crématorium. Elle m’a offert une très belle rose rouge en remerciement. Je l’ai déposé sur le tapis de coquillages de la tombe de Jacques Higelin, tombé d’en-haut comme les petites gouttes d’eau...

Je reprenais mon itinéraire lorsque le chef d’une famille hispanique m’a tendu un morceau de papier pour me demander leur chemin. Ils ne parlaient pas un mot de français ou d’anglais et n’entendaient rien au plan du métro. C’est une vraie chance d’être bilingue. Mes rudiments d’espagnol ont grincé. Après deux correspondances, je les ai déposé au pied de la basilique qu’ils désiraient voir. Ils ont compris que je n’avais aucune intention de venir ici à l’origine, que j’y suis allée avec eux pour eux. Ils m’ont tendu un billet. J’ai décliné… sur un mot d’italien. J’ai admiré une nouvelle fois cette bâtisse que j’ai visitée pour la première fois il y a quelques jours à peine…

J’ai dévalé le quartier dans le sens inverse. Je suis ressortie à la station qui me rapprochait le plus du lieu pour lequel j’étais dehors. Était-ce encore une coïncidence de me retrouver face à l’église où j’ai assisté à un concert de chants de Noël la semaine dernière ? Je ne me suis pas attardée dedans. Même sans la foule, son architecture est beaucoup trop chargée pour moi. La fréquence des énergies qui y planent ne me convient pas. Il y avait un autre concert d’instruments à cordes. L’acoustique est belle quand on est au choeur.

Les pieds en feu, j’ai fini par arriver là où je voulais aller. À peine posée dans la file d’attente, une femme sortie de nulle part m’a foncé dessus. J’ai sursauté. Qu’elle soit venue directement vers moi, parmi toutes les personnes présentes qui serpentaient sur le trottoir, reste un mystère. Elle tenait à m’offrir son ticket, horodaté justement pour l’exposition temporaire que je voulais voir. La foule à l’intérieur la décourageait. J’ai à peine eu le temps de la remercier pour son geste qu’elle avait déjà disparu… Incroyable !

Ces enchaînements sont étranges. Ces détours et ces rencontres m’ont fait du bien. Cette vie est stupéfiante. Quand je m’endors le coeur en fête...

Merci.