Boulette Journal

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Une étudiante de ma cohorte m’a envoyé un message privé pour m’indiquer qu’elle aurait aimé me rencontrer alors que nous étions toutes les deux dans le même musée sans le savoir. Il faut dire que je prends peu part aux discussions démotivantes et stressantes du groupe WhatsApp. L’idée est de critiquer suffisamment l’autre pour le décourager et gagner la meilleure place. Diviser pour mieux régner. Vieux et vil comme le monde. La course aux notes, la quête du compliment, les flatteries… Ça ne m’intéresse pas. De même que j’ai vite compris que si je n’étais pas radicalement du même avis qu’elle, tout rapprochement était compromis. Des deux côtés.

Je me sens bien dans ma bulle créative. Je me sens libre. Triste, parfois. Mais libre et heureuse de faire ce que je fais, d’être ce que je suis.

J’ai déjeuné dans ce restaurant de quartier qui a vu mon adolescence défiler. Je n’ai rien reconnu mais j’ai été reconnue comme si c’était hier. Ces murs ont tellement d’histoires à raconter. Au milieu des travaux, il reste les valeurs sûres. C’est important d’en avoir, de pouvoir s’y raccrocher. J’ai écrit à l’amie avec laquelle j’y allais si souvent. Lui dire qu’il était impossible de ne pas penser à elle à ce moment-là. Et nous avons discuté longtemps comme si elle partageait ma table.

Je me suis aussi rappelée pourquoi nous n’étions plus ces amies-là. J’avais besoin de me séparer pour pouvoir me rencontrer, prendre mes décisions sans avoir une autre ombre que la mienne pour me suivre dans des aventures que je ne pouvais plus entraver. Je n’arrivais plus à me soumettre à l’influence de quelqu’un d’autre. Mon salut a été son hécatombe.

Alors peut-être est-ce le juste retour des choses qu’elle m’apprenne sa grossesse par message. Encore une.
La nouvelle était teintée d’une fatigue exaspérée que je n’avais pas encore expérimenté. Je connaissais le désespoir, l’impression qu’il me manquait quelque chose et la colère contre moi. Aujourd’hui, je suis juste fatiguée.

Sa grossesse ne se passe pas comme elle voudrait. Son enfant n’évolue pas comme il le devrait. Aussi triste que cela puisse être, je suis consternée par son double discours : elle veut la vérité mais refuse qu’elle puisse être brutale ou désagréable ; elle veut les meilleurs soins mais refuse de prendre le métro (trop de temps de trajet) ou le taxi (pas de budget) pour les recevoir. Après de longues années d’attente et de frustration, je pensais qu’elle savait les engagements qui vont avec faire, porter et mettre au monde un enfant. Je la croyais prête à les assumer, à se battre pour ce qu’elle a voulu. Avant notre échange, je ne comprenais pas cette fatigue ni ce que voulait dire : "Faire un enfant pour soi."

Ce même jour, ma copine se mariait. Sans ceux qui l’ont mises au monde, sans ceux qui lui ont jeté des pierres et lui ont fait croire que jamais cela lui arriverait. Je suis allée allumer une bougie pour elle, en ce jour si spécial ; une autre pour moi. Parce que mes prières ont le droit d’être entendue. Enfin, avant de quitter la basilique, j’ai allumé un dernier cierge aux pieds d’un archange, au sommet de la ville. Où qu’il soit.

Mes directeurs m’ont invité à un déjeuner surprise pour la première fois, pour me remercier de mon travail. Qu’ils se concertent pour ma petite pomme au milieu du chaos de leurs agendas m’a beaucoup touché. Le restaurant était divin. Je suis restée sur les plats végétariens. Une pure merveille. C’était gouteux, fondant. Exceptionnel. Il y a vraiment des talents partout ! Je casserais bien ma tirelire pour goûter leur vin.

Mon projet professionnel est en train de prendre forme. Peu à peu, l’après se destine. Comme j’aime y penser et sentir que tout est possible. Ce n’est plus de la patience mais une certitude ferme que cette entreprise sera. Les contrariétés qui se glissent dans mon emploi du temps m’apprennent à gérer les aléas, à les prévenir à l’avenir. Les circonstances me sont favorables et je compte en profiter jusqu’au bout.