Boulette Journal

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J’ai gagné ce concours en pensant ne pas avoir d’attentes sur le contenu que nous réservait cet après-midi. J’ai réalisé après-coup que j’étais curieuse de découvrir un nouvel univers artistique et une technicité que je ne maîtrise pas. Nous étions toutes assises autour d’une table de pique-nique dans le magasin. Des représentants de l’enseigne d’un côté, de la marque de l’autre. Ce concours était une opération marketing en force. L’artiste est arrivé avec sa démarche claudiquante, sa canne et son égo surdimensionné. Doctor House était clairement là pour éblouir. Il s’est très vite désintéressé de toutes celles qui ne suivaient pas ses consignes, qui n’admiraient pas ce qu’il était en train de faire tout seul dans son coin ou qui ont apportées leur griffe à leur expérience créative. L’émancipation personnelle et le partage n’étaient pas de rigueur. Il fallait être muette et malléable. J’ai heureusement passé l’âge. Que l’on ait une réputation ou non, être artiste est une pratique égoïste.

Au milieu de la nuit, l’orage s’est mis à cogner dans mon ventre. Il y avait longtemps que je n’avais pas fait de crise d’adénomyose aussi aigüe. Les contractions m’ont tenu éveillée jusqu’à 3 heures du matin. Mes nerfs se sont progressivement détendus aux sons de gongs. De vraies pépites pour assouplir mes tensions. J’accroche le son et le tiens jusqu’à ce qu’il devienne poussière. Je ne sais pas si c’est la fréquence qui m’accompagne ou moi qui la suis. Je sens presque le velours du bâton qui vient caresser la surface métallique. Les ondes m’ont bercé le corps. Je me suis dissociée à nouveau. Mon ovaire gauche soufflait du feu. Mon utérus se tordait comme une serpillère. La crise s’est achevée vers 7 heures du matin. Ces moments de vie sont insupportables. Quatre ans.

Je suis restée au lit le plus tard possible pour récupérer avant de travailler. J’ai déposé des bouquins dans la boîte à livres avant prendre la route vers midi sans énergie. J’ai envoyé un message à mon hôte pour anticiper mon retard. J’espérais arriver plus tôt pour me reposer un peu avant d’aller au concert. La pluie et la fatigue ne font pas bon mélange. Il faisait déjà nuit à 15 heures. Sortie Ruisbroek. La boucle est bouclée.

Apercevoir le visage du Lion de la chambre que j’avais louée en septembre. Le lys m’a manqué. Je me suis changée et suis ressortie. Il ne pleuvait plus. L’air frais de la soirée m’a fait du bien. Les petites rues de ce quartier que j’affectionne me semblaient familières. Aucune odeur de poubelle à l’approche de la salle de concert. J’espérais secrètement y trouver ma place cette fois-ci. Tout était bien différent. J’ai regardé la scène et ses lumières comme on lit de la poésie. Je ferai quelque chose de tout ce que j’ai capturé. La foule se laissait respirer, enfin. Mon chapelet dans ma main, ma main dans ma poche. J’ai fermé les yeux plusieurs fois juste pour écouter cette voix d’ange, me détacher de ce que je suis venue chercher ici. Je partais.

Rentrer en passant devant la grande roue illuminée. Son prénom était écrit. 888.

La nuit a été glaciale. Le sommeil peu profond. Je suis restée en ville pour la journée. Au jardin, la fontaine était éteinte. La pièce que j’ai jetée a tinté comme une fée avant d’aller à l’eau. 11:11. Seul le premier musée a fait impression. Un parcours bien singulier et éclectique. Je suis restée dérangée par le second. C’est important de se confronter aussi à des époques et des genres où je ne ressens pas d’inclinaison. Ils font partie de l’Histoire. Je n’oublie pas que je ne sais rien. Je déteste ces galeries de scènes religieuses, de portraits anonymes, de femmes aux seins blancs, d’hommes et animaux morts.

La tumeur s’est réveillée au moment où je quittais le musée. Elle a irradié de mon front à mon nez pendant mon repas. Je suis allée me reposer à l’église, la tête contre la pierre froide. Deux grandes bougies pour toutes les prières de mon monde, du sien et du vôtre. Nous sommes qu’une seule et même chose. La pluie a commencé à retomber au moment où je quittais la ville. Le signal du départ. Le côté gauche de mon visage n’était que douleur à déchirer. Quatre arrêts plus tard, mon corps a rompu. Mon estomac s’est retourné. J’ai failli tourner de l’oeil dans ces toilettes d’autoroute. Je n’avais même plus assez d’énergie pour pleurer. Le ciel le faisait pour moi. Tout juste pour me changer dans mes vêtements sales de la veille et dormir un peu dans la voiture. Je me suis réveillée dans une buée blanche, désorientée.

Je suis passée entre toutes les gouttes sauf celles que mon corps m’a envoyées. Je suis têtue. Je l’écoute et je l’ignore quand il ne me laisse pas tranquille. Je refuse de voir mes pathologies comme des fins qui réduisent mes conditions de vie. À ces heures, il me faut oublier qu’il n’y a personne pour conduire ma voiture, me ramener à la maison ou à l’hôpital. La réalité. Je ne suis pas sûre de pouvoir additionner ma santé à la détresse qu’elle peut provoquer chez quelqu’un d’autre. C’est peut-être finalement de la gentillesse que d’être seule.

Je suis en vacances. Je n’ai pas pu finir mon petit-déjeuner. Mes frais de scolarité sont soldés. Le frigo est vide.