Boulette Journal

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Cher Ami,

J’aurais pu être dans ta foule ce soir pour cette dernière date qui se passe si près de chez moi. D’ailleurs, en écrivant ces lignes, en allumant la lumière, je le suis un peu à ma façon. J’ai l’impression d’avoir regardé mon téléphone toutes les 10 minutes dans l’espoir d’y voir une alerte, une invitation secrète.

J’ai fait des diversions pour occuper mon temps en attendant je ne sais quel miracle. J’ai imprimé mes premiers cours, déjeuné à l’extérieur, senti le sang couler entre mes lèvres avec 8 jours de retard, répondu à des emails sans importance, pris un long goûter, fait un soin… J’ai traîné jusqu’à la dernière minute dans l’espoir d’avoir une bonne raison de sauter dans le premier train qui ne me ramènerait pas chez moi…

Un tour d’Europe qui tient sur les doigts d’une main. Perle rare aux pantalons trop courts. C’était un privilège d’être présente un soir parmi les autres, d’avoir traversé une frontière pour découvrir de nouveaux quartiers, rendre hommage à certains et, surtout, te voir réaliser un de tes rêves. J’étais — et je suis — heureuse pour toi et cette équipe formidable. Comme en cuisine, les beaux rêves prennent du temps. Ma bouteille à la mer fera son chemin.

J’ai failli renoncer et tourner les talons un nombre incalculable de fois. Je me suis demandée ce que je foutais là. Si près du but et trop près du but. Je me suis sentie toute petite, petite au milieu de l’hystérie collective. J’ai détesté certaines filles d’être aussi assurées de leur beauté, aussi acides entre elles ; j’ai détesté leur condescendance et cette odeur de benne qui m’a enveloppée jusqu’à ce que j’arrive à m’en protéger. Je me suis trouvée un peu audacieuse d’avoir choisi de rester pour ce qu’il y avait à fêter.

De tous les jardins de la ville, il a fallu que cela soit celui-ci, devant cette fontaine. Les jets formaient un lys. Dans cet angle, selon la lumière, il y avait un arc-en-ciel. J’avais rêvé éveillée de t’envoyer un message pour te dire que je t’y attendais… et tu es venu. En allumant un cierge ce soir-là dans cette jolie église, j’ai eu la certitude d’avoir été la seule à avoir prié pour toi.