Boulette Journal

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Fût un temps où je me serais fait tatouer contre une période pareille. Métaboliser la douleur psychique par la douleur physique à travers une forme d’art. C’est tout moi.

Mon médecin porte une montre à chaque poignet. C’est tout ce que j’ai réussi à penser alors qu’il me recevait pour la deuxième fois ce mois-ci. Entre le traitement "rapide" par intraveineuse et le traitement "long" par cachet, j’ai choisi le long. Le deux sont temporairement efficaces. Carence, anémie, déficit. Tant que j’ai mes règles, tant que l’endométriose tapisse mon corps. Il puise et épuise mes forces là où il y en a, organe après organe. Voilà l’origine principale de mon épuisement et mes douleurs. L’endométriose n’est pas mortelle, non.

Je n’ai tout simplement pas la force émotionnelle d’être à nouveau hospitalisée. Pas sans être accompagnée à l’aller, pas sans être attendue au retour. C’est trop dur, beaucoup trop dur d’avoir à me tenir la main pour contenir mes phobies, oublier les murs et l’odeur décrépis des couloirs, raconter pour la millième fois mon histoire, le chaos de ce parcours médical ignorant et maltraitant de 24 ans. Et avoir à justifier mes larmes si d’aventure je pleure sur mon brancard. J’ai besoin d’une compagnie réconfortante. J’aime ce mot moelleux. J’en veux.

J’ai obtenu un rendez-vous avec un spécialiste à la fin de l’été pour faire "le bilan", juste après mon anniversaire. La dernière fois que je l’ai vu, on m’avait dit : "Quand vous serez enceinte, je vous prescrirai des vitamines pour renforcer votre corps." Cette phrase m’est restée, sans raison. J’y ai cru tout de suite : quand je reviendrai, les priorités de mes peurs ne seront plus les mêmes, tout sera réuni pour être prête à porter la vie. Je l’ai prié tellement fort. Je l’ai prié avant même de savoir ce qu’était prié. Rien ne s’est aligné. Petit à petit, je me détache de ces espoirs fous. Il le faut.

Ce rendez-vous est aussi avec moi-même. Pour la première fois de ma vie, je cherche les bons mots pour avoir le temps, d’ici cette date, de formuler mes questions, les rendre les plus neutres possibles, les dénuer d’émotion. Je voulais attendre 4 ans. Peut-être que mon père a raison : peut-être vaut-il mieux tout faire enlever. Non pour soulager sa conscience d’avoir fait un enfant qui reproduit "son erreur" mais pour me soulager d’une vie d’agonie.

Suis-je seulement prête à porter le deuil de ce rêve — le plus grand que je me suis souhaitée et que je n’ai jamais pu partager — pour le restant de mes jours ?